[Interview] Les défis des transports publics en Île-de-France
Interview de Carole Pezzali et de Iona Levebre. Institut Montaigne
L’institut Montaigne vient de publier le rapport « Mobilités en Île-de-France : ticket pour l’avenir ». Crise sanitaire, télétravail, impératif climatique, quête de qualité de vie…. Les nouveaux modes de vie transforment en profondeur les attentes des usagers de transports en commun. Alors que la crise sanitaire a révélé les fragilités de l’Autorité Organisatrice des Mobilités, tout l’enjeu est de garantir une offre toujours plus inclusive et abordable. Rencontre avec Carole Pezzali rapporteuse principale du rapport et Iona Lefebvre, chargée d’étude à l’Institut Montaigne, en charge du rapport.
Comment rendre l’offre de transports plus inclusive en Île-de-France ?
Carole Pezzali / Iona Lefebvre. L’Île-de-France, avec ses 12 millions d’habitants, représente 18 % de la population de la France métropolitaine, mais également 22 % des emplois, 43 % des emplois de cadres et 32 % du PIB. Depuis 1990, la région a gagné́ 1,5 million d’habitants et près de 1 million d’emplois, ce qui confirme son dynamisme économique et démographique et la positionne incontestablement hors norme, compte tenu de ses besoins de mobilité. Pour y répondre, la Région s’appuie sur des solutions de Mass transit (trains Transilien, RER, métros, tramways cadencés), une offre qui devrait permettre l’inclusion de tous ses habitants dans l’accès au travail, mais également à l’ensemble des autres besoins de mobilité, comme les loisirs, les achats… Chaque jour de semaine, 43 millions de déplacements sont effectués en Île-de-France selon les chiffres de l’Enquête Globale Transports. Trois grands modes prédominent : la marche [40 %], la voiture [34,4 %] et les transports collectifs [21,9 %]. La mobilité servicielle [« Mobility as a Service » MaaS] permet de rendre plus accessible l’ensemble des services quotidiens de mobilité́ en faisant le lien entre le numérique et les offres de transport. Ce lien est aujourd’hui essentiel pour faciliter la vie des voyageurs et proposer le meilleur choix pour se déplacer. Il permet d’organiser des trajets grâce à un média numérique unique regroupant en un seul et même outil des services enrichis [informations, achats de titres, réservations…] et des partenariats avec des opérateurs de mobilité́ partagés. Ainsi chaque voyageur peut disposer à chaque instant de la bonne information et des bons services pour répondre à cette question qui parait pourtant si simple : quel(s) transport(s) puis-je utiliser pour me déplacer le plus facilement et le plus rapidement possible dans une région qui propose un choix très varié́ en services de mobilités ?
Quels sont les enjeux majeurs en Île-de-France ?
CP/IL. Les effets de la crise en Île-de-France ont été particulièrement forts. L’usage des transports publics a directement subi les conséquences des confinements successifs et du changement des habitudes des usages. La démocratisation du télétravail pour bon nombre de salariés, mais également le report modal vers d’autres modes de déplacement plus individuels, plus sûrs ont fait chuter la demande de transports. En crise aigüe de la covid, on a constaté à peine 5 % de fréquentation ! Pourtant l’offre s’est maintenue à un minimum de 30 % afin de répondre aux besoins des travailleurs de première et deuxième ligne. Résultat : les recettes commerciales se sont effondrées, au point de déstabiliser tout le réseau de transports. Alors que nous traversons une 7e vague, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les impacts à moyen long terme de la crise sanitaire sur les modes de vie et donc sur la demande de transports publics, mais ce qui est certain, c’est que la crise sanitaire a fait émerger des changements de comportements qui vont à l’encontre du modèle de massification des trafics de voyageurs. Ce qui par conséquent remet en question les équilibres économiques.
LMI : Se pose donc le problème du financement ?
CP/IL. Dans un rapport publié en juin 2020, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France relevait le faible niveau de recettes par rapport aux dépenses en Île-de-France. Plus concrètement, 2 869 M€ de recettes versus 10 894 M€ de dépenses de fonctionnement reparties entre la RATP [49 %], la SNCF [32 %], Île-de-France Mobilités [IDFM] [5 %] et les autres opérateurs de transports [14 %] dont 543 M€ d’investissement. Avec l’effondrement de la fréquentation lors du confinement des mois de mars et avril 2020, alors que l’offre de transports s’est maintenue à 30 %, a provoqué une chute des recettes provoquant une perte nette de 1,42 MD € par rapport à 2019, dont 1 MD €, dû à la seule chute de la fréquentation malgré les aides de l’État. Du coup, la capacité d’autofinancement d’IDFM s’est avérée insuffisante pour faire face aux investissements, rénovation, remplacement de matériels… Ce qui porte la dette de l’AOM à 7 626 M€ fin 2021. On voit bien que la crise sanitaire a contribué à révéler les fragilités du modèle économique et pose clairement la question de sa soutenabilité.
LMI : Dans ce contexte dégradé, le risque n’est-il pas de voir le prix des transports augmenté pour les usagers ?
CP/IL. La nécessité de revenir à un ratio de couverture des dépenses beaucoup plus enlevé́ semble logique. Et dans un contexte de charges élevées liées à l’exploitation du réseau et à une offre de transports plus importante avec le Grand Paris Express [GPE], un objectif à moyen long terme de ratio de recettes sur dépenses [R/D] autour de 50 % permettrait un meilleur équilibre budgétaire pour l’AOM. Faut-il en passer par une hausse du prix des transports pour les usagers ? L’autorité́ organisatrice lyonnaise a, à titre d’exemple, procédé́ au rehaussement de ses tarifs de 1 % de plus que l’inflation tous les ans et a vu son ratio de R/D passer de 25 % en 2000 à 60 % aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, la mise en service du GPE va très fortement augmenter la qualité́ de service de l’offre de transport [nouvelles lignes, amélioration de l’équipement en transport collectif de plusieurs communes, rapidité́ du déplacement permise par la technologie mise en œuvre sur les lignes automatiques, flexibilité́ de la fréquence…] en même temps les charges d’exploitation du réseau francilien, ce qui justifierait une augmentation des tarifs. D’ailleurs, dans nos préconisations, il nous apparaît opportun d’encourager IDFM à envisager dans la durée un redressement progressif et socialement modulé du poste des recettes tarifaires. Même si la question de la tarification reste un sujet sensible, et plus encore dans un contexte économique et social tendu. Pour autant, nous estimons que la période n’est pas la plus appropriée pour engager sans précaution des réformes. La hausse de la tarification doit s’effectuer dans un cadre qui permette de garder une bonne lisibilité́ des tarifs, de cibler les publics et les services concernés et de légitimer des aménagements tarifaires en rapport avec la qualité́ de service.
Au-delà des enjeux financiers pour l’AOM quelles sont vos pistes pour relever les défis de demain ?
CP/IL. Nous avons émis 16 propositions pour augmenter et diversifier l’offre même si elle est l’une des plus dense et plus efficace au monde, mais également pour améliorer la fluidité des transports notamment durant les heures de pointe, avec une recommandation celle de relever les défis qui se situent désormais dans les zones excentrées et périurbaines notamment grande couronne. Autre préconisation : personnaliser davantage le voyage des usagers en fonction de leurs besoins, car depuis le début de la crise sanitaire, comme je disais, les attentes ont changé, car les modes de vie et de travail ont été bouleversés par le télétravail, la prise de conscience écologique, le besoin grandissant de sécurité, de propreté et de flexibilité. Avec le numérique, la mobilité́ devient de plus en plus servicielle, ce qui implique de davantage adapter l’offre des transports collectifs à une grande diversité́ de besoins et de demandes individualisées. Cela se traduit par la nécessité de développer des stratégies et des offres intermodales entre les transports collectifs « lourds » [Transilien, métro, tramway] et routiers [bus et cars] et les modes « doux » en plein essor avec la crise sanitaire [vélo, et particulièrement les vélos à Assistance éélectrique] et partagés [autopartage, covoiturage]. Cela doit également permettre de favoriser, lorsque cela est souhaitable, le rabattement de la voiture vers les transports collectifs dans la poursuite d’un enjeu crucial de transition écologique et d’amélioration de la qualité́ de vie.
>Télécharger l’étude : http://www.institutmontaigne.org/publications/mobilites-en-ile-de-france-ticket-pour-lavenir