Prise de compétence mobilités : premier bilan – Interview de Nicolas Portier
Délégué général de l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) – Intercommunalités de France, Nicolas Portier, décrypte l’enquête lancée par l’AcCF auprès des directeurs généraux des services des communautés de communes.
LMI. L’AdCF a lancé une enquête auprès des communautés de communes afin de dresser un premier bilan des décisions prises par les communautés de communes. Quel panorama pouvez-vous d’ores et déjà dresser ?
Nicolas Portier. Les communautés de communes avaient jusqu’au 31 mars 2021 pour se prononcer. Sans attendre, nous avons lancé une enquête auprès de leurs directeurs généraux des services. Il s’agissait d’une part de dresser un premier panorama des choix faits par les communautés de communes et d’autre part, d’appréhender les étapes d’après. Sur la base d’un échantillon de 220 réponses assez représentatif, nous avons obtenu un taux de prise de compétence de 54 %, parmi les communautés de communes qui n’étaient pas autorité organisatrice de la mobilité (soit 94 % des communautés de communes). L’enquête révèle de grandes disparités d’une région à l’autre dans les décisions prises par les communautés de communes. Ainsi, dans cinq régions, plus de 80 % des intercommunalités ont décidé de prendre la compétence (ou étaient déjà compétentes), dont la Bretagne (100 % des répondantes), les Pays de la Loire (93 %), la Normandie (91 %). À l’inverse, la région Occitanie (96 %) et la région Centre-Val de Loire (82 %) présentent ainsi les taux les plus élevés de non prise de compétence.
Comment expliquez-vous ces fortes disparités ?
NP. Cette disparité s’explique largement par les recommandations très fermes de certaines régions de ne pas prendre la compétence prétextant souvent leur intention de développer des services dans ces territoires ruraux. Des arguments qui ont convaincu bon nombre de communautés de communes, notamment en Occitanie, en Auvergne-Rhône-Alpes ou encore en région Centre-Val-de Loire, où les taux de prise de compétence sont particulièrement faibles. À l’inverse, en Bretagne les communautés de communes ont largement manifesté, elles, l’intention de relever le défi pour répondre au mieux aux besoins de leur population. Dans les régions Grand Est ou Bourgogne–Franche-Comté, les résultats sont plus mitigés. On a constaté également des effets de contagion d’une communauté de communes à l’autre, comme c’est le cas par exemple dans la Nièvre ou dans l’Yonne.
Ces résultats vous ont surpris ?
NP. Dans les régions qui ont accompagné les communautés de communes vers l’autonomie en les incitant à choisir leur destin, on constate un taux de prise de compétence élevé. En revanche, lorsque les régions ont exprimé fermement leur souhait de s’emparer de la mobilité « par substitution » en promettant à la clé une offre de services étoffée et en s’engagement à agir dans les communes rurales, le taux est faible, voire nul. On voit là tout le poids des régions dans cette prise de décisions des communautés de communes. Un poids que nous n’avions pas anticipé, mais dont nous avions perçu la tendance au fil des semaines. Nous avions pourtant beaucoup échangé avec elles avec une position clairement affichée, celle d’accompagner et d’aider les communautés de communes à franchir le cap de l’autonomie. Car il y a de vrais enjeux de mobilité dans les territoires ruraux.
Du coup, face à des messages contradictoires, certaines communautés de communes ont préféré se retirer derrière les régions. Mais nous ne sommes qu’aux délibérations. En effet, les communautés de communes ont encore trois mois avant la prise de compétence effective, la décision finale étant suspendue aux règles de délibération des communes. Il n’est donc pas exclu que dans certaines communautés de communes qui ont exprimé le choix de se saisir de la compétence, des communes membres s’y opposent. On sera définitivement fixé le 30 juin.
Quelles sont les transformations potentielles pour les communautés de communes qui ont fait le choix de devenir AOM ?
NP. Tout d’abord, il est important de préciser que la compétence mobilité, prévue dans la loi LOM, n’impose pas aux communautés de communes de créer un service de transport régulier. Elles acquièrent donc une compétence plus « à la carte », mais surtout, et c’est tout l’objet de la LOM, elles pourront accompagner les diverses formes de transports, notamment les mobilités partagées, les mobilités actives, le vélo à assistance électrique, qui se développe très rapidement grâce aux offres de soutien à l’achat, ou encore divers modes de mobilités solidaires ainsi que le transport à la demande. Des initiatives bien plus flexibles que le transport régulier. La notion d’autorité organisatrice de la mobilité prévue dans la loi LOM n’est pas nécessairement aussi complète que celle des métropoles ou des communautés d’agglomération.
D’après votre enquête, seulement 4 % des répondants indiquent que la communauté de communes percevra le versement mobilité dès le début…
NP. Le financement de cette compétence par le versement mobilité a fait l’objet d’un long débat : car si les communautés de communes acceptent le versement mobilité, elles sont contraintes de mettre en place un système régulier de transport. Or, le versement mobilité est réservé aux entreprises de plus de 11 salariés, qui sont moins nombreuses en milieu rural. C’est pourquoi nous n’avons jamais pensé qu’il était le moyen de financer le transport dans les communautés de communes.
En revanche, nous considérons qu’il y aurait un vrai sens, à un retour de la fiscalité carbone de la contribution climat énergie vers la mobilité en milieu rural. Car nous savons très bien que les ménages les plus captifs, ceux qui parcourent le plus de kilomètres en véhicules individuels, les plus tributaires de la mobilité individuelle, vont contribuer plus que la moyenne à la fiscalité climat. Nous pensons ainsi qu’il faudrait un retour traçable de cette fiscalité vers le financement de solutions alternatives. Pour l’heure, la trajectoire de la taxe carbone a été interrompue à la suite de la crise des gilets jaunes. Mais l’acceptabilité de cette contribution passe par la mise en place de solutions alternatives à la mobilité individuelle sur un territoire.
C’est un débat qu’il faudra relancer si l’on veut offrir des bouquets de services en milieu rural. Nous avons encore devant nous des modes de financement appropriés à trouver.