La marche : un déplacement pour tous – interview de Dominique Riou
L’institut Paris-Région a pour mission de réaliser des études et travaux pour aider à la prise de décision les décideurs et des partenaires de la région Île-de-France. Rencontre avec Dominique Riou, chargé d’étude au département mobilité transport de l’institut Paris-Région.
La marche comme mode de déplacement est-elle enfin accessible à tous dans les grandes métropoles ?
Dominique Riou. Aujourd’hui, à l’initiative de nombreux élus, la marche à pied, un mode de déplacement longtemps oublié des politiques d’aménagement, revient en force, boostée par la pandémie de la Covid-19. Or, force est de constater que dans de nombreux territoires, marcher reste encore difficile. Les espaces de marche, les trottoirs et les axes routiers y sont inconfortables, car sous-dimensionnés, voire même dangereux. Car en matière d’aménagement du territoire, tous les publics n’ont pas été pris en compte. Des choix ont été faits et certains transports, notamment, l’automobile et plus largement les véhicules motorisés, ce sont imposés en force dès le début du 20e siècle. Avant la voiture, tout le monde marchait à la vitesse du pas sur la chaussée, et les trottoirs existaient parfois pour éviter la boue et les crottins de chevaux. Ensuite, les piétons ont été écartés de la chaussée, marquant fortement la structuration de nos espaces de voirie. C’est ainsi que la marche, qui reste pourtant un mode de déplacement majoritaire, a cédé de plus en plus d’espace pour se retrouver dans des espaces contraints, voire même parfois inexistants.
Pourtant aujourd’hui les infrastructures évoluent et s’adaptent aux nouvelles attentes des populations ?
D.R. En effet, les élus s’interrogent de plus en plus sur la redistribution de l’espace public en faveur des piétons et sur la manière de construire de nouvelles stratégies favorables à la « marchabilité », une notion essentielle pour construire une ville plus apaisée. Certes, il faut offrir un environnement qui soit agréable mais surtout le plus sécurisé possible. Car, les chiffres sur l’accidentalité nous rappellent à la réalité. En 2019, on dénombre 74 piétons tués en Île-de-France, dont 66 victimes d’un véhicule léger ou poids lourd. Et ce sont les personnes âgées qui sont le plus exposées : 42 % des piétons tués sont des seniors. Or attention, dans nos villes qui vieillissent, la sécurité des plus fragiles devient un sujet majeur. Pour redonner de la place aux piétons, il faut poursuivre les efforts en étendant les zones à priorité piétonne, en élargissant les cheminements et en facilitant les traversées des piétons. L’autre transformation des comportements que nous constatons est l’augmentation de la pratique du vélo. Elle est essentielle, parce qu’elle répond aux enjeux environnementaux, économiques, mais également de santé publique et de mobilité. À condition, une fois de plus, que des efforts soient faits en matière de sécurité. Les zones de circulation aménagées ces dernières années vont dans le bon sens. Sans compter que les nouvelles règlementations participent également à la ville apaisée. Mais il reste beaucoup à faire pour que l’environnement urbain soit moins routier, moins rapide, plus partagé et plus confortable pour tous. C’est un enjeu de société et de vivre ensemble. Et, dans cet environnement apaisé, on peut espérer que les personnes à mobilité réduite trouvent mieux leur place. Et inversement, tous les aménagements que l’on peut opérer en faveur des personnes à mobilité réduite ou fragiles bénéficient à tous.
La crise sanitaire, a-t-elle accéléré les transformations ?
D.R. On constate, indéniablement, un bouleversement. Lors du premier confinement, on a pu découvrir ce que pouvait être une ville apaisée et aérée. Et donc un espace public de voirie agréable qui fait un grand retour dans les programmes d’aménagement des villes. Portée par les politiques publiques à l’échelle nationale comme à l’échelle locale, les efforts d’aménagement ont été faits en un temps record en faveur notamment du vélo. Si le processus est engagé, il reste encore beaucoup à faire, car entre les projets et leur mise en œuvre il se passe du temps. C’est le temps long de l’aménagement de la ville.
Vous diriez alors que l’on prend mieux en compte les problématiques des plus faibles ?
D.R. Pas complètement, mais nous avançons ! Il ne peut y avoir de solution unique et miraculeuse. L’enjeu pour les pouvoirs publics est donc d’apporter des réponses satisfaisantes aux besoins de déplacements de toutes les personnes et qui réduisent drastiquement l’impact environnemental des transports notamment en termes d’émissions de CO2. Les aménagements doivent être mieux pensés et plus respectueux de tous. C’est fondamental.
La nouvelle loi d’orientation des mobilités, puis le plan de relance, participent-ils à donner plus de moyens aux collectivités ?
D.R. De nouveaux dispositifs émergent comme la nécessité de protéger les espaces qui entourent les passages piétons pour une meilleure co-visibilité. C’est une sacrée avancée. S’ajoute l’abaissement de la vitesse en ville. Les mentalités commencent à changer et vont dans le bon sens. Mais les changements de philosophie demandent du temps. C’est pourquoi il faut rappeler que la ville doit penser aux plus fragiles, car on est tous fragiles à un moment de sa vie.
À propos de l’Institut Paris Région
https://www.institutparisregion.fr/mobilite-et-transports.html
L’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne (IAURP) a été créé le 4 mai 1960 et reconnu fondation d’utilité publique la même année. Il devient, en 1976, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France (IAURIF). En 2008 l’acronyme évolue pour devenir IAU Île-de-France puis, en 2019, la fondation est transformée en association et devient L’Institut Paris Region.
Il a pour mission essentielle de réaliser des études et travaux nécessaires à la prise de décision de la Région Île-de-France et de ses partenaires. De l’échelon local à l’échelon des grandes métropoles, il intervient notamment dans de nombreux domaines tels que l’urbanisme, les transports et la mobilité, l’environnement, l’économie et les questions de société. Il apporte son soutien aux politiques d’aménagement et de développement des communes, des intercommunalités et des départements.