[Interview] Stéphanie Lopes d’Azevedo, Directrice Économie, Technique et Prospective à l’Union des Transports Publics et Ferroviaires
L’Union des Transports Publics et Ferroviaires (UTPF) vient de publier la 11ème édition de l’Observatoire de la mobilité, enquête annuelle qui zoome cette année sur les mobilités à travers les générations. Rencontre avec Stéphanie Lopes d’Azevedo, Directrice du département des Affaires économiques, techniques et prospective à l’UTPF.
LMI. Pour cette édition 2024 de l’Observatoire de la mobilité, l’UTPF s’est intéressée à la problématique de la mobilité à travers les générations ; pourquoi ce zoom générationnel ?
Stéphanie Lopes d’Azevedo. Cette étude s’inscrit dans le cadre de l’Observatoire que nous réalisons chaque année depuis 11 ans. Il nous est apparu essentiel de comprendre les pratiques, habitudes et les attentes des Français en matière de déplacements. L’objectif de cette étude approfondie était de comprendre la perception des transports publics à travers les différentes générations, et d’identifier les leviers qui pourraient encourager le report modal, c’est-à-dire inciter les gens qui ne les utilisent pas encore à les adopter, tout en identifiant les freins qui les en empêchent.
Comme je disais, cette année, nous avons choisi de nous concentrer sur deux groupes spécifiques : les jeunes et les seniors. Pourquoi les jeunes ? Nous avons remarqué que l’âge moyen d’obtention du permis de conduire recule. Nous voulions comprendre si cela était dû uniquement à des raisons financières, le coût du permis étant élevé, ou si cela révélait un changement de mentalité chez les jeunes, qui ne perçoivent plus forcément la voiture comme une priorité, contrairement à leurs aînés.
Ensuite, les seniors, et plus particulièrement ceux qui ont environ 75 ans aujourd’hui qui ont grandi avec la démocratisation de la voiture. Nous nous sommes demandés si cette génération, en vieillissant, envisageait encore la voiture comme principal mode de transport ou si elle commençait à réfléchir à d’autres alternatives.
Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
SLA. Le premier enseignement concerne les jeunes. Nos intuitions étaient les bonnes : leur motivation environnementale dans le choix des modes de transport est avérée. Autrefois, la raison environnementale arrivait au 4ème ou 5ème rang dans les priorités des usagers des transports publics. Cette préoccupation devient chaque année plus déterminante, et grâce à l’analyse générationnelle, on peut constater que c’est le fait des jeunes (15-27 ans) qui ont grandi dans un monde marqué par une prise de conscience écologique. Contrairement à leurs aînés, qui associent la voiture à la liberté, les jeunes l’associent d’abord à la pollution.
Un autre aspect intéressant est que les jeunes choisissent les transports publics aussi parce qu’ils leur permettent de faire autre chose durant leur trajet : être sur les réseaux sociaux, travailler, etc. Cet aspect est moins présent chez les générations plus âgées, qui voient encore les transports publics comme une contrainte.
En ce qui concerne les seniors, nous avons constaté un écart important entre deux groupes. Il y a les baby-boomers, ceux qui sont nés après 1947, et la génération silencieuse, née avant. Les plus âgés, qui ont environ 78 ans, commencent à se poser de véritables questions sur leur capacité à continuer à conduire. Cependant, même s’ils ne sont pas opposés aux transports publics, il existe des freins, notamment liés à l’accès au transport, comme par exemple le cheminement piéton jusqu’aux arrêts ou stations.
Vous mentionnez des freins pour les seniors à utiliser les transports publics. Pouvez-vous nous en dire plus ?
SLA. Oui, l’accessibilité est un enjeu majeur. Quand on est un senior, marcher jusqu’à l’arrêt de bus, surtout si le chemin est mal sécurisé ou trop long, peut être un obstacle et source de vulnérabilité. Ils ne sont pas contre l’idée d’utiliser les transports publics, mais ces freins doivent être levés. Ils se rendent bien compte de l’offre existante, surtout dans les zones urbaines, mais il reste un travail à faire pour rendre ces services plus faciles d’accès.
Concernant la sûreté des transports collectifs, que nous dit l’enquête ?
SLA. Une surprise est venue des jeunes qui invoquent les freins liés à la sûreté bien davantage que leurs ainés. En observant plus finement on observe que ce sont particulièrement les jeunes femmes qui sont les plus grandes utilisatrices des transports publics qui mettent en avant les problématiques de sûreté, c’est-à-dire les atteintes aux biens et aux personnes. On s’attendait à ce que ces préoccupations soient plus présentes chez les seniors, mais ce n’est pas le cas.
Les seniors restent-ils encore attachés à la voiture ?
SLA. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les seniors ne sont pas aussi attachés à la conduite que nous l’imaginions. S’ils sont encore 58% parmi les plus âgés à estimer qu’il est difficile de se passer de la voiture, cela ne veut pas dire qu’ils veulent absolument conduire. Ils sont davantage préoccupés par la capacité à être transportés en voiture, que ce soit par eux-mêmes ou par d’autres.
Sur une décennie, diriez-vous que la voiture perd de son attrait ?
SLA. Cette notion d’attachement est essentielle pour comprendre les dynamiques de mobilité. Car plus un individu est attaché à la voiture, plus il éprouvera des difficultés à moins l’utiliser au profit des transports publics. Au global, plus de la moitié des urbains se disent très attachés à la voiture. Cette tendance est encore plus forte chez les générations dites « actives » (28-59 ans).
Ce qui veut dire que globalement, l’image de la voiture reste positive même si chez les jeunes, la voiture est davantage associée à la pollution qu’à la liberté. Il y a donc un glissement progressif dans la perception de la voiture. La congestion et les coûts liés à la voiture, comme le carburant, commencent également à jouer un rôle important. On voit bien que les jeunes générations poussent pour un virage vers les mobilités actives et partagées.
Et quelle image ont les Français des transports publics ?
SLA. Indiscutablement le train a une meilleure image que les transports urbains (avec 75 % d’idées positives associées contre 64 %). En effet, si les transports urbains peuvent miser sur leur facilité d’accès et leur caractère éco-responsable, le renforcement de la sûreté́, la contrainte et le stress généré́ (particulièrement auprès des plus jeunes), restent des enjeux de taille. Mais les transports offrent une solution économique de déplacements. Pour le coup, c’est un constat intergénérationnel.
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