[Interview] Sébastien Mariani, membre du CESE
Pour construire des solutions durables et inclusives, le CESE (Conseil Économique, social et Environnemental), a choisi de consulter directement les citoyens sur la mobilité durable et inclusive dans les zones peu denses pour recueillir leurs besoins et leurs solutions qui seront relayées au Printemps 2023 au Gouvernement et au Parlement. Rencontre avec Sébastien Mariani, Secrétaire général adjoint de la fédération générale transports et environnement (FGTE-CFDT) -Secrétaire général adjoint de la CFDT Cheminots (UFCAC-CFDT) – Membre du CESE et rapporteur des travaux au nom de la commission Territoires, agriculture et alimentation.
Le CESE a lancé une consultation citoyenne sur les mobilités durables et inclusives en zone peu dense ; pourquoi cette consultation ?
Sébastien Mariani. En France, plus de la moitié de la population habite dans des territoires ruraux ou périurbains où l’enjeu des mobilités est une question fondamentale. Le risque d’isolement et de dépendance pour des raisons d’âge, de handicap ou de coût, est encore plus important pour celles et ceux qui ne peuvent pas utiliser facilement une voiture pour aller au travail ou accéder à des services essentiels comme se soigner, faire ses courses ou se former. Cette situation d’inégalités entre les citoyens et entre les territoires est exacerbée par la crise énergétique qui renchérit le coût de la voiture. Et au-delà̀ de son aspect social, l’accès à une offre diversifiée de mobilité́ est un enjeu primordial en matière de lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans les zones rurales. L’autre constat que l’on peut poser est qu’il existe un bouquet d’offres de mobilité très diversifié pour répondre à l’urgence climatique mais pour autant qui relève des initiatives des maires sans que les citoyens ne soient interrogés. Parfois l’offre rencontre la demande mais parfois pas. À travers ce dispositif de participation qui vise à recueillir et porter la parole des citoyennes et des citoyens sur l’ensemble du territoire, nous recherchons des solutions concrètes pour des déplacements plus durables et accessibles à toutes et tous dans les zones « peu denses » à savoir les zones rurales ou les périphéries éloignées des agglomérations. Les Françaises et les Français ont eu la possibilité de s’exprimer via une plateforme en ligne qui permet à tous de répondre à un questionnaire et faire remonter leurs problématiques et leurs avis, via des ateliers participatifs dans les territoires, permettant de réfléchir ensemble à des solutions nouvelles, organisés en collaboration avec les CESER, et enfin via une journée délibérative au CESE durant laquelle des citoyens volontaires pourront s’exprimer sur des préconisations. Ce dispositif inclut également une démarche proactive inédite pour recueillir la contribution de tous les citoyens dans les départements d’Outre-mer : des ambassadeurs ont été présents dans 15 bureaux de poste durant 3 semaines, afin de recueillir les contributions des citoyennes et citoyens sur la plateforme mise en ligne du 17 octobre à fin novembre 2022. A l’issue des travaux, le CESE votera un avis, que je rapporterai au nom de la commission Territoires, agriculture et alimentation, qui sera remis au Gouvernement et au Parlement au printemps 2023.
La consultation est close : est-ce que les Français ont été au RDV ?
SM. On a comptabilisé un peu plus de 10 000 participants. Ce qui constitue une base de travail très significative. Le dispositif inédit déployé dans les DROM en partenariat avec La Poste, avec un questionnaire mis à disposition dans les bureaux de poste ou présenté aux citoyennes et aux citoyens par les facteurs lors de leur tournée, a permis d’augmenter le nombre de participants. Ces ambassadeurs ont permis de surmonter la fracture numérique et d’aller chercher la population très éloignée de ce mode de pratique.
Quelles sont, d’ores et déjà les grandes tendances qui ressortent de cette consultation citoyenne ?
SM. La consultation a été arrêtée sur la plateforme il y a seulement quelques jours et elle se poursuit par cinq ateliers dans les territoires, afin d’aller à la rencontre des Français, dont les résultats seront pris en compte. Mais ce qui ressort déjà à la lecture des questionnaires ou des auditions d’acteurs sur le terrain, c’est que certaines solutions et notamment le transport à la demande notamment, que bon nombre de communes déploient aujourd’hui, ne représente pas la solution la plus opérationnelle pour les Français en zones peu denses. Si cette solution paraît utile, elle n’apparaît pas comme le moyen universel de remplacement. Car la manière dont elle est déployée par les collectivités locales, ne répond pas aux besoins des populations. Autre tendance : la nécessité de s’orienter vers des véhicules plus légers moins consommateurs d’énergie. Cette solution nécessite non seulement des infrastructures adaptées en cas de multiplication des usages, mais également une réelle nécessité d’accompagnement culturel notamment de ceux qui sont dépendants de la voiture. Toute la question est de savoir comment passer d’un véhicule individuel à un véhicule léger sur des trajets du quotidien ? Pour pouvoir changer les habitudes de ces populations au tout voiture, il va falloir les accompagner. Mais ce qui est surprenant, c’est qu’à travers les réponses des participants on perçoit une prise de conscience qui devrait se traduire par des changements de comportement. Mais attention, lorsque l’on parle de changement, il ne s’agit pas d’abandonner totalement la voiture individuelle mais de mieux adapter les modes de mobilité aux usages. Il est vrai que si je parcours 7 km seul pour aller à la boulangerie, je n’ai pas besoin d’une voiture de 1200 kg. Je peux utiliser d’autres solutions pour faire ce trajet. Mais aujourd’hui, la voiture comme on la conçoit, reste encore l’outil magique qui répond aux besoins de proximité mais aussi de longues distances. Un outil magique mais qui a un coût d’entretien et de carburant, en plus de son coût environnemental.
La crise énergétique a-t-elle accélérer les changements de comportement ?
SB. Probablement, on le perçoit déjà à travers les réponses. Cette crise amène à s’interroger sur nos propres modes de consommation d’autant plus que les prix des carburants s’envolent et nous contraint à des arbitrages. Elle nous pousse spontanément à un comportement plus sobre pour pouvoir boucler les fins de mois et en même temps mieux respecter la planète. Mais cette même crise peut entrainer des comportements inverses de résistances aux changements. On le perçoit aussi.
Pour cette frange de la population en zones peu denses sans voiture, pensez-vous que les transports publics soient une réponse au besoin de se déplacer ?
SB. Je le crois. L’exemple de nos voisins européens le prouvent. Je pense notamment à l’Allemagne qui a su maintenir un service de transports collectifs dans les zones peu denses. De ce côté-ci du Rhin, on les a quelque peu laissés tomber. Mais aujourd’hui, devant l’urgence climatique, il n’y a pas de raison que l’on fasse moins bien que les Européens. Mais sous certaines conditions : d’abord, que des moyens financiers soient mis sur la table pour relancer l’investissement tant dans le transport ferroviaire -le maintien des « petites lignes » – que routier, et je pense particulièrement aux bus. Ensuite, il faut garantir un accompagnement des populations vers le transport collectif qui est plus contraignant notamment en matière d’horaires. Cela suppose en parallèle une meilleure gestion des horaires de passage en lien avec l’aménagement du territoire. Enfin, il faut améliorer la qualité des services de transports. Exemple, en zones moins denses, on constate que la qualité de la signalétique est moins bonne que dans les grandes villes et que les conditions d’attente sont moins bonnes. Et puis, il faut absolument améliorer l’information voyageurs qui souvent est une véritable usine à gaz. Tous ces efforts sont primordiaux si l’on veut réussir la transition écologique.
Quelles solutions préconisez-vous ?
SB. D’abord déployer un ensemble de moyens de transport que l’on peut cumuler sur un seul trajet. C’est l’objectif qui faut atteindre surtout si on pose la mobilité comme un droit fondamental. Ce qui paraît indispensable, c’est que chacun ait le droit d’accéder à différents moyens de mobilité. C’est ainsi que l’on parviendra à une réelle liberté de se déplacer sobrement équivalente sur l’ensemble du territoire.