[Interview] Antoine Chéreau, Vice-président d’Intercommunalités de France, chargé des mobilités.
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À l’occasion des 10 ans du Laboratoire, nous interrogeons des personnalités afin qu’elles nous éclairent, depuis leur domaine d’expertise, sur le bilan qu’elles dressent des inégalités en matière de mobilité, sur l’évolution de ce sujet sur les 10 dernières années et sur les enjeux pour les années qui viennent. Ce mois-ci, notre invité est Antoine Chéreau, Vice-président d’Intercommunalités de France chargé des mobilités et Président de la communauté Terres de Montaigu. Il estime que la coopération à l’échelle du bassin de mobilités est une réponse à plus de cohésion sociale et territoriale.
Quel bilan dressez-vous des inégalités en matière de mobilité sur les 10 dernières années ?
Antoine Chéreau. La mobilité inclusive est un sujet majeur pour les intercommunalités de France. Car la crise énergétique que nous traversons a accru l’urgence à réduire nos consommations et à recourir à des modes de transports alternatifs à l’usage individuel de la voiture. Pour autant, elle n’a pas entravé les mobilités, au contraire. Sur la base des enquêtes que nous menons régulièrement auprès de nos adhérents, j’appuierai mon bilan sur les retours d’expériences. Au-delà des inégalités sociales, les lois successives en matière de mobilité ont permis des avancées en matière de lutte contre les inégalités territoriales. C’est incontestable. La LOM, dernière grande loi en date sur ce sujet, a également permis l’instauration d’un dialogue entre les territoires en réunissant partenaires institutionnels, associations locales, entreprises et citoyens, et de ce fait des solutions intelligentes et adaptées à chaque territoire ont pu émerger. C’est une sacrée avancée ! Pour autant, il reste encore du chemin à parcourir mais nous sommes sur la bonne voie car la coopération entre les territoires est dans ce combat de lutte contre les inégalités territoriales et sociales, indispensable. Et, à ce titre, l’intercommunalité est un échelon pertinent d’action en matière de mobilité car elle permet plus facilement le développement de services dédiés.
Pensez-vous que les dispositifs existants soient suffisamment efficaces dans un contexte de transition écologique et d’inclusion ?
AC. Pas totalement puisque tous les besoins ne sont pas complètement satisfaits. Mais comme je le disais, nous sommes sur la bonne voie. Aujourd’hui le progrès réside dans la capacité des territoires, jusque-là privés de moyens de mobilités, de se doter à terme de solutions. Alors certains n’en sont qu’à l‘étape du projet, mais ils finiront par se concrétiser. Autre progrès significatif : la mobilité s’inscrit aujourd’hui, notamment pour les intercommunalités, dans des bassins de vie élargis et des espaces de coopération interterritoriale : bassins d’emploi, périmètre de SCOT (Schéma de cohérence territoriale), PETR (Pôles d’Équilibre Territoriaux et Ruraux), pôles métropolitains, qui épousent davantage le périmètre fonctionnel de l’organisation des mobilités (déplacements domicile-travail et domicile-études). De nombreuses intercommunalités ont ainsi initié ces dernières années la contractualisation territoriale à l’échelle du bassin de mobilité élargi en nouant des coopérations multimodales. Une avancée rendue possible en posant le diagnostic et en identifiant les problèmes notamment en matière d’inclusion. C’est tout de même un progrès ! Un progrès qui montre cependant ses limites. En effet, le risque est que tous les moyens soient concentrés sur les infrastructures et équipements des territoires déjà équipés au détriment des territoires périurbains et ruraux. Dans un contexte de crise énergétique, l’accès de chacun aux centres-villes doit être possible. C’est pourquoi si nous voulons éviter que la politique de mobilité ne soit adaptée qu’aux plus grandes villes, il est urgent de lancer un débat politique à l’échelle des régions. La mise en place des bassins de mobilité et l’élaboration des contrats opérationnels de mobilité (COM) va dans ce sens. Inclure le Plan d’Action commun en matière de Mobilité Solidaire dans le COM pourrait permettre de porter collectivement une attention aussi forte sur le PAMS que sur le COM et de faciliter la mobilité solidaire entre les territoires.
Quels sont les freins à une mobilité inclusive ?
AC. Le raisonnement qui consiste à dire qu’en ville on utilise les transports collectifs et à la campagne la voiture, est dépassé. Les populations aspirent à d’autres modes de transports plus propres et moins chers. Les collectivités sont à l’œuvre pour répondre à ces nouvelles attentes en offrant des solutions vertueuses, comme le transport à la demande par exemple.
Quels sont les enjeux en matière de mobilité dans les 10 prochaines années ?
AC. Les élus locaux sont conscients des enjeux tant sur le plan social, environnemental, sociétal et économique liés à la mobilité. Des solutions modernes existent alors que d’autres émergent mais les besoins sont croissants pour répondre aux enjeux liés à l’emploi, la santé, les loisirs pour les jeunes et les personnes âgées. Je suis convaincu que les inégalités vont se réduire dans les années qui viennent même si j’ai encore quelques inquiétudes. La première concerne le financement des infrastructures. Nous ne disposons pas de modèles de financement suffisamment matures pour pouvoir développer des solutions répondant aux enjeux des différents territoires. L’ingénierie de projet est indispensable pour inscrire les actions dans une stratégie territoriale et pérenniser les services. Mais encore faut-il disposer d’infrastructures nécessaires à l’accompagnement des transformations. En d’autres termes, on peut mettre sur le marché des vélos électriques performants et abordables financièrement pour les ménages, mais encore faut-il développer les infrastructures nécessaires. La deuxième préoccupation concerne le manque d’interactivité entre urbanisme et mobilité. Le zéro artificialisation nette (ZAN) inscrit dans la loi Climat et résilience, va transformer considérablement le modèle urbain de l’habitat avec le risque que dans certains territoires, et je pense au littoral par exemple, les populations soient contraintes de s’éloigner de leur lieu de travail. Tant que l’on ne développera pas d’outils de mobilité en adéquation avec l’urbanisme, nous n’aurons pas totalement réglé le problème de la mobilité. Il faudrait, en claire, construire l’habitat sur la structure de mobilité en place et non le contraire. Comme dans certaines villes d’Allemagne.