[Interview] Action cœur de ville acte 2 : sobriété foncière et mobilité durable
Rollon Mouchel-Blaisot, préfet et directeur du programme national Action Cœur de Ville (ACV) a rendu son rapport en juillet au gouvernement. Ce dernier pourrait inspirer les grandes lignes de la prochaine programmation (2023-2026). Au menu : sobriété foncière, adaptation des villes moyennes au changement climatique en favorisant notamment les mobilités douces, et ouverture des maisons de mobilité dans toutes les agglomérations. Rencontre.
Quelles sont les grandes lignes d’Action Cœur de Ville (ACV) acte 2 ?
RMB. Mon rapport de préfiguration ACV 2023-2026 vise large. Le programme se veut opérationnel avec une approche territoriale qui prenne en compte les spécificités et les besoins de chaque territoire, plutôt qu’une approche centralisée.
Le fil conducteur du dispositif que j’ai proposé est, indéniablement, la sobriété foncière et d’usage. Car les statistiques le prouvent : il n’y a pas de corrélation entre les évolutions de la population et la consommation foncière. Bon nombre de villes ont perdu des habitants, mais continuent à consommer de l’espace. L’autre objectif est de mettre de l’ordre dans la périphérie commerciale. On ne peut plus aujourd’hui avoir des zones artisanales ou économiques sans étage via une succession de hangars étalés avec des zones de parking bitumés à l’infini. Ce modèle de développement urbain n’est plus soutenable eu égard aux enjeux climatique et environnemental. On doit pouvoir mutualiser certains espaces et également élargir le champ d’action d’ACV aux quartiers de gare et aux entrées de ville comme l’a préconisé le président de la République.
En d’autres termes, il faut retravailler complètement la ville sur la ville ; ne plus mettre les villes à la campagne, ce qui favorise l’étalement urbain, mais la campagne dans la ville ! C’est un changement de paradigme radical. Cela veut dire, bien sûr, qu’il faut créer des habitations qui correspondent aux aspirations contemporaines avec de la lumière, de nouvelles fonctionnalités, mais également des espaces privatifs. En parallèle, il faut repenser les aménagements pour favoriser les mobilités actives : la marche à pied et bien sûr le vélo. Car encore aujourd’hui, dans bon nombre de villes, se rendre à pied du centre à la gare par exemple relève du parcours du combattant. Il faut construire une ville servicielle qui puisse maintenir les seniors dans leur habitation, avec des logements qui s’adaptent au vieillissement et aux aléas de la vie et des moyens de transports qui correspondent à leurs besoins, mais également une ville capable d’accueillir les familles et les étudiants. Bref, une ville apaisée, décarbonée, intergénérationnelle et désirable.
Quel rôle le programme ACV joue-t-il dans la politique des mobilités ?
RMB. La crise sanitaire a accéléré le développement de pistes cyclables, mais la marche à pied doit aussi faire partie des politiques de mobilité. ACV propose d’accélérer ce mode de transport, en accompagnant la création d’infrastructures adaptées, car il reste encore beaucoup à faire. Cependant, en matière de mobilité décarbonée, il faut trouver un juste équilibre. Nous sommes passés du tout voiture à, parfois, la difficulté d’accéder au centre. Or, le cœur de villes reste attrayant pour les populations. Preuve, 7 habitants sur 10 de l’agglomération s’y rendent au moins une fois par mois, selon l’Observatoire des mobilités dans les centres-villes lancé en 2021. Cette problématique est au cœur des transformations à l’œuvre dans ces villes. Car pour maintenir cette centralité, il faut développer des navettes (beaucoup de navettes électriques desservent aujourd’hui très bien le cœur des villes à partir de zones relais à proximité), des parkings intelligents et des circulations plus apaisées. C’est le cas dans de nombreuses villes qui, au-delà de piétonniser leur centre, ont requalifié les berges en zone de promenades ou en parcours sportif. Une requalification gagnante pour les habitants qui retrouvent de la sérénité, du bien-être, mais également pour le territoire qui voit se développer les commerces et revenir les habitants. Dans ce sens, les villes « à taille humaine » sont de véritables terrains d’expérimentations. Les offres de services de mobilité se multiplient souvent sous l’impulsion de start-up locales.
Quoiqu’il en soit, si l’on veut que des habitants et notamment les familles reviennent habiter en ville, il faut prévoir des modes de déplacements adaptés : transports collectifs, transports à la demande, modes actifs tout en prévoyant des solutions pour stationner les VL qui, même électriques ou hybrides, restent encore souvent nécessaires.
Vous souhaitez soutenir dans le cadre d’ACV le déploiement des Maisons de mobilité ; leur rôle est essentiel ?
RMB. Effectivement : aujourd’hui on ne demande plus à être transporté, mais à pouvoir effectuer un parcours de mobilité. Une Maison de la mobilité est un lieu où trouver toutes les réponses à ses attentes en termes de transports, avec tous les moyens disponibles. Pour cela, toutes les entreprises liées à la mobilité sont invitées à se rassembler en un lieu unique pour répondre au mieux aux besoins des usagers. Une Maison de la mobilité vous renseigne et vous aide pour tous vos déplacements en transports collectifs, comme les trains, les réseaux de transport urbains, les autocars, les vélos, électriques ou non. Elles vous conseillent également des questions d’automobile partagée comme le covoiturage, l’autopartage ou l’autostop organisé. Si ces maisons existent déjà dans certaines villes, nous souhaiterions favoriser leur implantation dans toutes les agglomérations ACV. L’enjeu majeur de décarbonation des transports nous amène à développer toutes les alternatives à la voiture. Du transport collectif au transport à la demande, du vélo à la marche à pied… Pour parvenir à créer un écosystème efficace, il faut développer en parallèle les infrastructures. Car au-delà des transports des usages, nous avons également un enjeu de logistique urbaine qui se doit désormais être plus propre et plus durable. Aujourd’hui le CEREMA aide les collectivités à s’emparer de tout ce paquet de mobilités alternatives et décarbonées et les accompagne notamment en matière d’ingénierie dans leur réalisation. Nous souhaitons passer à la vitesse supérieure. Car on constate une prise de conscience des populations et une accélération des besoins de se déplacer de façon plus responsable.
Notre vision c’est une ville vivante où les habitants se déplacent très facilement et se rencontrent et non l’« ubérisation » de l’espace public avec toutes les nuisances urbaines et souffrances sociétales qui en découlent.
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