6es RMI – Repenser la mobilité : ancrages et inégalités
Bouger ou s’enraciner ? Comment les inégalités font et structurent-elles les mobilités ? Comment les mobilités font et structurent-elles à leur tour les inégalités ? Analyse avec le sociologue Vincent Kaufmann.
Sociologue et spécialiste des questions de mobilités, professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Vincent Kaufmann est intervenu lors des 6es Rencontres de la Mobilité inclusive, l’occasion d’expliquer son concept de « motilité », et d’interroger aussi la notion de mobilité et son importance en termes de structuration sociale.
Trois dimensions doivent être prises en compte pour aborder la mobilité : le champ des possibles (réseaux de transport, marché de l’emploi, lois) les aptitudes à se mouvoir ou « motilité » ( les capacités physiques, compétences, d’usage, projets de mobilité, accès aux transports) et les déplacements en soi (de personnes, mais aussi d’informations ou d’objets).
N’oublions pas que se déplacer n’est que le moyen de réaliser une activité. L’aptitude à se mouvoir ne doit pas se limiter à une question d’accès. En effet, il est également question des compétences et de l’appropriation des projets. Les inégalités sociales sont structurantes des inégalités de mobilité, et des inégalités dans l’aptitude à se mouvoir. À l’inverse, les mobilités sont à l’origine d’un certain nombre d’inégalités. La mobilité est donc à la fois produit et producteur d’inégalité. Une recherche à ce sujet a été menée en partenariat avec le réseau d’association Mouvance.
Vincent Kaufmann, Sociologue
Une recherche sur la « motilité » pour l’insertion professionnelle
Dans quelle mesure l’aptitude à se mouvoir constitue-t-elle une ressource pour l’accès à l’emploi ? Vincent Kaufmann a présenté, en conclusion de son intervention, une recherche réalisée en collaboration par l’association Mouvances, le bureau MoHo et l’EPFL et financée par le Forum de la vie Mobile intitulée La motilité pour l’insertion professionnelle. Cette recherche repose sur une analyse des données issues du diagnostic Mouvances, sur une enquête quantitative dans les agglomérations de Clermont-Ferrand et Montbéliard, ainsi que sur une enquête qualitative auprès des publics des associations.
Pour aller plus loin : interview de Vincent Kaufmann
Quelle définition donne-t-on à la mobilité ?
Bon nombre d’études menées sur le thème limitent la question de mobilité à celle des transports. Or, la mobilité ce n’est pas que du déplacement, car elle relie les grandes valeurs qui gravitent autour de la liberté et des droits de chacun d’accéder à l’emploi, à la santé et plus globalement aux besoins du quotidien. Elle renvoie également aux acteurs et tout particulièrement aux notions « d’envie » – ai-je ou non envie de bouger? – et « d’aptitudes» à se déplacer – en suis-je capable ? Voilà pourquoi la mobilité est certes spatiale mais également sociale.
Quelles sont les grandes avancées de vos travaux ?
Le résultat le plus important est que les systèmes de communications couplés aux transports rapides (avions, voiture et TGV,) ont développé des formes de déplacement spécifiques que permettent les réseaux d’infrastructures de transport rapides, que l’on nomme les mobilités réversibles. Résultat : on accepte de se déplacer loin pour se rendre à son travail ou pour voyager, mais parallèlement, on accepte de moins en moins de se déraciner d’un endroit ou d’une situation. Ce constat nous amène à nous questionner sur notre réelle propension à nous déplacer. Finalement sommes-nous si mobiles que l’on prétend ? Sauf que cette réversibilité, à un coût que tous ne peuvent supporter. C’est pourquoi les inégalités ne cessent de croître et sont plus que jamais associées à l’espace. Plus vos revenus sont faibles plus vous êtes assignés au local alors que les cadres supérieurs peuvent mettre de la distance entre leur lieu de travail et leur domicile. J’avais été frappé par les propos du Président de la République, Emmanuel Macron, lors de la fermeture de GM&S dans la Creuse. « À 80 kms, il y a une entreprise qui embauche ». Sauf que bon nombre d’entre eux n’ont pas les moyens financiers de faire 160 kms par jour en voiture.
À qui profitent les innovations technologiques ?
Les catégories supérieures, sauf en matière de tourisme : l’apparition du low cost a permis de démocratiser les voyages qui, désormais sont accessibles à un plus grand nombre de familles.
Quels sont les verrous à faire sauter ?
Bien sûr les aspects financiers. Pourtant il se crée une vraie dynamique de l’entre aide partout en France. Une économie bricolée, certes, mais réelle. Ensuite, l’accès aux compétences qu’il faut initier dès le plus jeune âge. Car se déplacer d’un point A à un point B demande, en amont, d’anticiper son trajet. Enfin, il faut aider les populations à s’approprier des nouveaux moyens de transport. On a souvent constaté que des lignes de tramway ou de bus n’étaient pas utilisées par les populations, incapables de se les approprier.
C’est cette appréhension qui tétanise les plus fragiles et qui les assigne à résidence ?
Oui c’est souvent le cas. Il n’arrive pas à construire leur trajet, identifier la bonne ligne de métro ou de train, ils ne savent pas faire du vélo ou n’ont pas leur permis de conduire… Les handicaps sont nombreux et se cumulent souvent. Dans les zones rurales, les déficits d’équipement sont encore plus importants… Oui, mais ils sont contrebalancés par des solidarités que l’on trouve moins dans des milieux péri-urbains.
Le contexte le plus défavorable est souvent l’espace intermédiaire, comme la grande banlieue par exemple, mal desservie et où il existe peu de solidarité. On voit donc combien le tissu social est un levier de mobilité.
Comment va évoluer la problématique de la mobilité ?
Les autocars, les nouvelles lignes de train, de bus, de métro, le développement du covoiturage, les modes de transport doux… Toutes ces offres permettent de donner plus de mobilité. Mais du point de vue des personnes, pour y accéder, cela suppose de posséder un ordinateur, de pouvoir et de savoir l’utiliser. Or, ces nouveaux systèmes de mobilité, ne permettront pas de combler les inégalités sociales.